mercredi 27 mai 2009

Muzak de film

Je viens d'aller voir le dernier "Star Trek" au cinéma. Je ne ferai pas de commentaires sur ce film qui m'a diverti à la hauteur de mes attentes - cette remarque, quoique sibylline, suffira pour le moment.
Ce dont je voulais vous parler, c'est de l'usage de la musique dans les films (et aussi dans les documentaires.)
Pendant la séance, je me suis - et c'est à chaque fois pareil pour ce genre de film - agacé devant le déluge sonore de cuivres et grosses caisses, une fanfare bien 14 juillet (ou 4) peu en harmonie avec un spectacle censé se passer dans un futur "galactique" et lointain. On a une sorte d'anachronisme à rebours, un peu comme si, voulant mettre en scène le 21ème siècle, un auteur du Moyen-âge avait abusé du luth, de la vièle ou de la guiterne en montrant des combats de machines volantes.
OK, personne n'a la moindre idée de ce que sera la musique dans, disons, trois cents ans. Raison de plus pour faire preuve de prudence et de modération dans les bandes sonores : prenez un vieux film, et il y a de fortes chances que son côté ringard - ou quétaine - vous saute aux oreilles plus encore qu'aux yeux.
Mais les producteurs et les réalisateurs (je ne sais pas qui choisit la musique) se foutent royalement de faire sourire leurs arrières-petits enfants. Pour les films à gros budget, la musique n'est qu'un gros nappage de chocolat sonore, un truc qui fait pleureur ou bondir, qui accélère le rythme cardiaque, qui renvoie grossièrement à des références consensuelles, comme la musique militaire "roulements de tambours" pour le côté martial, la musique pseudo wagnérienne pour bien souligner le côté épique, le piano qui va piano pour la mélancolie, les accords de rock pour la nostalgie années 60 etc. Quand un film trouve une texture sonore intéressante, les autres s'empressent de recopier. Je ne compte plus les trames avec notes cristallines à la "American Beauty" qu'on retrouve dans tous les films du même genre.
Parfois, je suis scotché par un film, je rentre littéralement dedans, je marche avec les personnages, je vois ce qu'ils voient. Et je réalise alors que c'est parce qu'il n'y a pas de musique distrayante. Non, pas distrayante, mais plutôt aliénante, qui fait du film un acte étranger au présent, qui nous dit "c'est un film" et nous laisse sur nos divans.
Certaines scènes de 2001 sont puissantes par leur silence absorbant. Quand Dany parcourt les couloirs de l'Overlook Hotel, dans le seul bruit des roues de son jouet sur la moquette ou le parquet, on est avec lui - on est lui. Une musique aurait tout foutu en l'air.
La musique nous guide trop, quand parfois on voudrait faire du hors-piste.
Mais d'autres fois, la musique fait partie intégrante de la texture visuelle du film, et alors je plonge dedans pour les raisons exactement opposées : les images ne suffiront jamais à me faire ressentir, vivre l'univers par-delà l'écran, et la musique - le son -, en tant que sens majeur, apporte la touche qui me fait basculer pour de bon dedans. La musique lancinante de Solaris (le remake), l'orgue quasi uchronique de "Clockwork Orange", le piano de "Shawshank's Redemption", le blues de "Blade Runner", la patte de Michel Legrand, les musiques mythiques de "Lawrence Of Arabia", de "Gone with the wind" et j'en passe des plus belles encore...

Tout dépendant de ce que l'on recherche : la liberté, la vraie, sans qu'on nous tienne la main, le silence à remplir de nos craintes, de notre curiosité, de nos joies paisibles... ou la visite guidée, la manipulation consentie, pour aller là où on ne serait pas allé tout seul...

La plupart des films négligent cet aspect. Et la plupart des spectateurs ne sont même pas conscients de la grossièreté de certaines bandes sonores. Pour eux, c'est ça, un film, avec une trame bien grasse pour être sûr de ce qu'on attend d'eux - "pleurez ! applaudissez ! paniquez !" -, et je me dis parfois qu'ils ne veulent pas réellement plonger dans l'histoire, par peur de trouver leurs vies fadasses.


dimanche 24 mai 2009

Des gros vers mous à traire

Ce midi, petite faim. Rien d'anormal à cette heure.
Je jette mollement mon dévolu sur un Thaï Express, une fois n'est pas coutume, et je commande un Pad Sew "végé" - une assiette de pâtes larges avec des légumes. Quand le cuistot me tend mon repas par dessus le comptoir, je me rappelle soudain pourquoi je m'étais juré de ne plus venir bouffer dans ce genre d'endroit.
Le truc rond en carton - qui mérite autant le nom d'assiette qu'un coke celui de grand cru - ploie sous la masse de pâtes dégoulinantes de sauce. Je dois faire attention à ne pas en foutre partout, le glorb difforme glisse sur son carton plastifié comme un terril de bouffe, un monceau de bâfre, un tombereau de graille huileuse. Merde ! Et dire que je suis dans un restau "santé", et que c'est un plat végé !
C'est une pleine marmite qui fume sur mon cabaret (plateau). D'accord, je ne suis pas un gros mangeur, mais là c'est du n'importe quoi. Et quand je regarde les assiettes des autres personne, je vois la même orgie de boustifaille triomphante. On est en Amérique du Nord, mais ça n'explique pas tout quand même.
Je pioche les meilleurs morceaux de mon "assiette", je m'enquille une bonne ration de pâtes, puis je décide de m'arrêter, écoeuré par le trop de sauce trop salée, trop sucrée, trop trop.
Il me reste plus de la moitié du plat dans mon "assiette".
Tout file à la poubelle.
Un "doggy bag" ? Non, merci. Déjà qu'on se sent pas mal rabaissé à une bestiole de ferme quand on se fait servir la pâtée dans une bauge en carton, alors je ne vais certainement pas récupérer la graille tiédasse pour me la réchauffer le soir venu.
Mais qu'est-ce que c'est que cette société qui nous gave comme des oies, qui nous colle des escaliers mécaniques partout, qui nous enlève des trottoirs pour laisser passer plus de bagnoles, qui nous refile de la viande aux hormones, aux antibiotiques, des céréales poussés aux pesticides, des fruits d'été sans goût en plein hiver, des repas surgelés bourrés d'à peu près tout ce qu'il ne faut pas - sel en masse, gras, sucres omniprésents, liste de conservateurs et autres exhausteurs de goût à n'en plus finir - et qui, en même temps, nous pond des tonnes de lois et de règlements pour nous empêcher de nous faire mal - ceinture de sécurité, loi anti-tabacs, casque pour cyclistes, protections en tout genre etc.
Voudrait-elle faire de nous de gros vers mous vulnérables qu'elle ne s'y prendrait pas mieux.
Mais pourquoi voudrait-elle faire une telle chose ? Et d'abord, c'est qui, "la société" ?
C'est simple : la société, c'est plein d'acteurs. Mais les acteurs les plus riches peuvent se prévaloir d'être aussi les plus influents, à tel point que la société, au final, c'est ceux qui ont le plus de fric, et s'ils ont ce fric c'est souvent parce qu'ils sont influents et qu'ils peuvent se permettre d'en faire encore plus. Et comment s'en faire plus quand on s'en fait déjà plein ? En augmentant les marges, en vendant de l'inutile, en baissant les coûts et donc la qualité. Ces acteurs ne veulent pas mal faire, ils veulent faire bien, au contraire, mais pour eux faire bien c'est faire plus de cash.
Et pour faire plus de cash, le moyen le plus simple c'est de faire plus. Toujours plus. Hasta l'indigestion, siempre !
Mon assiette du Thaï Express n'est qu'un exemple anecdotique de cette tendance lourde qui marque les sociétés occidentales depuis une trentaine d'années.
Citius ! Altius ! Fortuis !
Ce devrait être : plus fort ! Plus fort !! Plus fort !!!
Plus fort, le goût : du ketchup partout, des exhausteurs, des "saveurs" industrielles étudiées pour réduire les papilles à ne plus savoir apprécier la diversité, mais seulement l'intensité. Exit la variété.
Plus fort, le bruit : de plus en plus d'études nous parlent de la surdité croissante chez les jeunes personnes, et aussi chez les autres qui subissent le bruit du trafic routier, l'agression des publicités à la TV, la musique à tue tête (j'aime cette expression...) dans les magasins de fringues, dans les centres commerciaux.
Plus vive, la lumière : les millions - eh oui, millions - de lampadaires qui éclairent une bonne partie du globe tout la nuit, en fait qui éclairent le ciel ; les milliards - eh oui, milliards - d'ampoules dans les maisons, les apparts, celles des milliards - oui oui milliards - de véhicules qui roulent la nuit, les projecteurs sur les terrains de soccer, dans les parcs, près des monuments, qui crachent leurs lumens du soir au matin...
Plus forts, les parfums et les "purificateurs d'air" : ça fait longtemps qu'on a perdu notre pif de chasseur ou de pisteur, mais c'est pas une raison pour saturer l'air de milliers de molécules agressives pour le nez, au détriment de toutes les odeurs légères et naturelles qui embaument naturellement notre environnement. Anti-sudorifiques, eaux de Cologne, sprays, bâtonnets d'encens, diffuseurs de parfums "d'ambiance"... Voyez la débilité des parfums "brise marine" ou autres "senteurs du verger", des trucs 100% chimiques et parfois cancérigènes, alors qu'on ne prend même plus la peine de renifler le monde. Qui cueille encore des brins d'herbes, déchire les feuilles d'arbre pour les sentir, hume la roche, le bois, les métaux pour en apprécier les milliers de nuances ? Vous, peut-être, mais alors vous devez être malheureux quand vous croisez une pompe à essence qui empeste de tout son fuel à la ronde.
Plus puissantes, les enceintes sonores, plus larges, les écrans HD, plus gros, les barbecues qu'on dirait sortis d'un film de SF - j'en ai vu des aussi gros qu'un petit tracteur... -, plus...
Plus, plus, plus : syndrome d'accoutumance.
Mais un jour ce sera moins, et même beaucoup moins. Le plus dégueulasse, c'est que ce ne sera pas nous qui devrons nous serrer la ceinture. Ce seront peut-être les enfants qui naissent en ce moment. Ou, si ça arrive plus vite, les ados actuels : je les plains, car bien plus gros consommateurs que ceux de mon époque, ils sont aussi plus susceptibles de connaître le "stop" brutal devant le précipice, et pour eux ce sera très dur.
Mon assiette monstrueuse du Thaï Express sera pourrie depuis longtemps quand elle sera devenue suffisante pour nourrir une famille entière. D'ailleurs, et j'arrête là-dessus car ça me fait gerber d'y penser, cette putain d'assiette nourrirait DÉJÀ pas mal de gens en ce moment même, en des endroits où notre "plus" est en grande partie la cause de leur "moins".







jeudi 14 mai 2009

Le Futur n'a plus la cote : vive l'avenir !

Hier après-midi, au boulot.
Réunion d'information dans une salle de conférence sans fenêtres.
Ça bourdonne sec autour de moi : les laptops, l'aération, le projecteur, la voix zozotante d'un chef quelconque, même mon sang s'y met et bat son ronron dans mes tempes.
Les yeux mi-clos, je glisse lentement dans une espèce de torpeur narcoleptique. Je me dépars des informations les plus fraîches, genre où suis-je, que fais-je là, qu'est-ce que j'ai foutu la semaine dernière, le mois dernier, quand sommes-nous...
Je garde quand même une amarre dans la "réalité", un pied dans la porte si je ne veux pas prendre celle de mon employeur. Mais c'est un fil ténu, le strict minimum pour faire impression - impression d'être là et d'écouter.

Soudain, une date sur l'écran éblouissant. Un powerpoint d'échéances à respecter.
Février 2010.
Un instant, un bref instant, je vois le Futur, le vrai, celui de Temps X (pour ceux qui s'en souviennent) et des combinaisons brillantes, celui des fusées, des robots et des inquiétants soleils verts, celui des odyssées de l'espace, des monades urbaines, des utopies fascisantes ou des cauchemars écologiques, le Futur avec un grand F. Alors je me réveille pour de bon car, apparemment, on parle de science-fiction, et ça c'est mon truc !
Las ! Aussi vite, mon horloge interne se met à tourner à la manière d'une machine à sous, ou d'un chronographe à la H.G. Wells, et en quelques secondes une date tombe, cling cling : 13 mai 2009. Ce n'est pas le jackpot, mais ça l'aurait été il y a vingt-cinq ans, quand j'aurais donné mes 21 volumes de "Tout l'Univers" pour voir comment ce serait, le XXIème siècle.
J'y suis venu. Je vois. Pas vraiment (con)vaincu.

Pas de bandes de droogies avec leurs chapeaux melon, leur cannes et leur argot.
Pas d'autodafés de bouquins, ni de clonage industriel (pas encore...), ni de vacances sur Mars.
Pas de guerre contre les machines. Pas de réplicants fugitifs, ni de punkettes androïdes.
Pas de crânes luisants d'êtres beaux, intelligents et asexués, en vêtements acryliques moulant.
En fait, on retrouve les mêmes têtes qu'en 1985, coiffures à part. Les blue-jeans ont changé de coupe, mais ce sont toujours des jeans.

"New-York 1997", c'était il y a 12 ans. Et pourtant, la dernière fois que je suis allé à Manhattan, je n'ai pas vu que l'île était devenu un pénitencier géant. Et la musique ne ressemblait pas à de la disco "futuriste".
D'après "Terminator", on est tous mort il y a une dizaine d'années.
D'après "Shadrak dans la fournaise" (de R. Silverberg), idem.
"1984" : c'est clairement du passé (mais pas dépassé), et pas de Big Brother omniscient. D'ailleurs, pas besoin de s'immiscer dans la vie privée des gens : ils s'exposent eux-mêmes en place publique.
"Cosmos 1999" : 1999 de quel calendrier ? Musulman ?
À propos de 1999 : féru d'astronomie, j'attendais impatiemment l'éclipse solaire qui aurait lieu le 11 août de cette année-là... dès 1983, me demandant alors ce que je serais devenu à cette date magique, si je serais encore vivant, si quelque catastrophe, guerre (ah les années 80, avec leur pessimisme soviéto-reaganien) ou épidémie n'aurait pas frappé l'humanité etc. Ça fait dix ans. Depuis, cette année qui fut métallique, inquiétante dans nos attentes, est devenu banale, voire moisie dans nos souvenirs. Exit le tournant du siècle. Idem pour 2000, THE date, qui a déjà pris un air vieillot - pensez-y, il n'y avait pas encore de Web 2.0 !

Pour plusieurs générations, l'échéance de l'An 2000 barrait l'horizon du futur comme un mur sombre. Ou brillait comme une ultime percée de soleil couchant. Ce n'était qu'un chiffre, mais quel chiffre ! Même pour ceux que l'avenir et son anticipation n'intéressaient pas, ce chiffre simple portait en lui tant d'espoirs ou de craintes ; pas besoin d'y réfléchir longtemps, il était là, gros comme un titre de "Ben Hur" (ou de "Life of Brian") en pierres géantes, et ses zéros ne pouvaient laisser indifférent.
Que nous reste-t-il de ce phare symbolique ?
Et surtout, en 2009, qu'est-ce qui le remplace ?
Rien. C'est mathématique : il n'y aura pas d'autre année qui excite autant l'imaginaire avant très très longtemps.
Les journaux balancent de temps en temps des dates à venir, tirées de rapports, de projections. 2045... 2027... 2080. Les scénaristes, les romanciers, les publicitaires ont du mal à trouver des dates accrocheuses. L'An 3000 ? Beaucoup trop loin. 2100 ? Bof...
Le Futur a perdu de son pouvoir de fascination.
Le XXIème siècle s'annonce déjà comme un bourbier climatique. Demandez aux gens ce qu'ils pensent de 2100 : ils ne vont pas discourir sur les autos volantes, ni sur les colonies spatiales, ni sur la médecine qui permettra de vivre 140 ans. Non. Ils vont vous parler de la fonte de l'Arctique, de la montées des eaux, de la fin du pétrole.
Ils ont raison, mais voilà justement la différence entre l'An 2000 et l'an 2100 : Le premier faisait parler le Coeur. Le deuxième, la Raison.


Pour les Français nostalgiques de Temps X : l'An 2000 tel qu'imaginé en 1979.


mardi 12 mai 2009

Des puces sur un mammouth

Il y a trois mois, c'est-à-dire courant février 2009, on n'entendait parler que de ça : la crise économique était "majeure", "gravissime", "sans précédent depuis cinquante ans", bref,en un mot : HISTORIQUE.
Pas un journal, pas une radio, pas une chaîne pour nous rappeler ad nauseam que cette crise c'était pas pour les tapettes, que nous allions bientôt manger des racines et rapiécer nos guenilles au coin d'un feu de cagettes, que la guerre civile était imminente. Les chiffres (souvent contradictoires) pleuvaient : plus forte hausse du chômage aux États-Unis en trente ans, ou cinquante, plus forte décroissance sur un trimestre depuis 19xx, plus bas taux d'intérêts depuis... on ne sait quand. Des analyses, des éditos, des articles nous démontraient par centaines que l'horreur nous attendait au détour de l'année, sinon en 2010, ou 2011, ou en 2012 s'il le faut, ah ah vous pouvez vous cacher la Crise vous retrouvera tôt ou tard : explosion sociale, hausse des ventes d'armes, villes américaines sinistrées, replis nationaux et guerres inévitables.
Je ne dis pas que tout était faux. Ce que je retiens, c'est que depuis trois mois la crise s'est en effet approfondie, il y a encore plus de chômeurs aux Etats-Unis, en France, au Canada, mais paradoxalement les médias n'en parlent presque plus. Le choc, c'est l'annonce, après on s'en fout.
Il y a moins de deux semaines, on allait tous crever de grippe comme des pourceaux. Et rebelote avec les chiffres "historiques", les comparaisons avec 1918, les projections alarmistes.
Je ne dis pas que tout ce remue ménage était sans fondement. Ce que je retiens, c'est que même si la grippe s'est étendue depuis, les médias ont rangé leurs trompettes. Pas assez fulgurante, la progression, les gens vont penser qu'on se fout d'eux.
En janvier, nous vivions un instant "unique dans l'Histoire" avec l'investiture de B. Obama. Flopées de superlatifs, larmes en gros plan sur tous les écrans, alléluia ! Nous tenions un Great Moment, un vrai de vrai.
Quatre mois plus tard, l'engouement s'est pas mal estompé, dommage car le nouveau président a justement montré qu'il n'était pas là (seulement) pour avoir son nom dans les dicos. Mais le concret, ça vend moins que le fantasme.
C'est toujours comme ça.
Le tsunami de 2004, les ouragans "force 15", le SRAS et j'en passe.
Quand ça arrive ou que ça peut arriver, on nous remet dans une perspective "historique". « Et alors ? », me dites-vous. « Ce n'est pas nouveau ! Remember 1990, l'Irak avec sa "troisième armée mondiale", nous étions à l'aube du crépuscule des Dieux ».
Non, ce n'est pas nouveau. Mais en vingt ans, le rythme de l'actualité a changé. Pas dans le fond - il y toujours autant de désastres et de menaces potentielles - mais dans sa forme, que je dirais merchandisée à l'extrême. Et qu'est ce qui donne le plus de valeur à une nouvelle ? Son caractère historique.
Alors les médias sont sur le qui-vive, à qui donnera le scoop à saveur "grand moment d'Histoire".
Et les "consommateurs" de news, dont je fais aussi partie, à mon corps défendant, se précipitent sur ces promesses d'éternité.
Pour dire "je l'ai vécu", pour se sentir dans le Temps, dans l'Histoire, pour vivre la postérité par procuration. Ils seront morts dans un siècle, mais alors leur microscopique existence sera vaguement reliée à un événement, comme des esprits à une maison hantée. Ou des puces à un mammouth. Et ils ne s'en cachent même pas : combien de personnes qui se sont rendues à Washington en janvier l'ont fait, de leur propre aveu, pour pouvoir dire plus tard à leur petits-enfants "j'étais là" ?
Au risque de me répéter, ce n'est pas nouveau comme comportement, mais c'est devenu quasiment frénétique, c'est la recherche de la dose maximum d'Histoire, là, maintenant, et ça retombe aussi vite, et même plus vite que jamais. À défaut d'être acteur, on se contentera d'être spectateur, mais pas n'importe lequel : au premier rang si possible. Le 11 septembre a autant frappé l'imagination par sa violence physique que par son "historicité" évidente, l'Histoire en marche venait de trébucher et le monde entier retenait son souffle.
Imaginez la bataille de Pharsale sur Facebook, Waterloo sur Tweeter, la Grande Peste sur Internet. À l'époque, les gens n'étaient pas forcément conscients de vivre des moments historiques. Beaucoup sont même carrément passé à côté. Mais deux mille ans ou deux siècles plus tard on s'en souvient encore.
Maintenant, on ne veut plus passer à côté. Mais qui se souviendra de la grippe porcine dans vingt ans ?
À moins qu'elle ne s'avère vraiment historique.
Mais ça c'est une autre histoire.

dimanche 10 mai 2009

Dersou Ouzala

Ou Dersu Uzala, en anglais. Un film de Kurosawa (1975), monsieur Samouraï chez les Soviets.
Un film exceptionnel.
Je dire même un putain de bon film qui vous hante longtemps après que vous l'avez vu.
Bon comme la tourbe, les silences de la toundra et un ciel sans avions.
Bon comme l'odeur du feu qui vous sèche les guiboles après une longue marche dans la boue et vous rappelle qu'on (les humains) s'est chauffé de la sorte pendant quelques centaines de milliers d'années, et que ça ne fait que quelques heures (à l'échelle réduite à un an de l'humanité) qu'on n'a qu'à tourner un thermostat quelque part dans un logement entre deux tranches d'immeuble quand on se les gèle devant un bon film. Dersou Ouzala, par exemple.
Je ne vais pas faire dans les grands blablas pour louer (louanges !) ce film, "amitié forte", "ode à la nature" etc. Y a des tas de sites bien foutus pour ça.
Mais si vous avez la fibre "écolo", pas dans le sens tofu, carotte bio et iPod équitable, mais bien celle qui vous donne l'envie génétique de (re)trouver une nature intemporelle, ni victime usée jusqu'à l'os, réduite à des fantasmes marketing, ni hostile, intentionnellement violente car "inhumaine" donc ennemie, alors regardez ce film et versez une larme en songeant à tout ce qu'on a perdu - et je ne parle pas de la nature, mais d'une part de notre humanité.


samedi 9 mai 2009

Rêve d'aigrettes

Tiens, à propos de mon pseudonyme (qui est le nom anglais d'une plante à la rareté discrète, et aux feuilles en dents de lion...), je viens justement d'en arracher de pleines poignées avant de me dire que j'étais vraiment cave de lutter contre des fleurs jaunes... Comme si je n'avais rien de mieux ni de plus poétique à faire, comme par exemple, je sais pas, moi, planter des pissenlits pour égayer le voisinage en apportant des touches de couleur à la sinistre monochromie des pelouses.

Ça m'a rappelé un petit texte que j'ai écrit il y a quelques années, et qui se déroule dans un futur proche, à la Orwell.

«Ben traversa la cour commune, un merveilleux bout de nature d’un vert pomme fluo, où les enfants des propriétaires pouvaient s’ébattre en toute sécurité sans risquer de tomber sur un caillou tranchant ou sur une plante allergène. La campagne gouvernementale d’éradication des mauvaises herbes – c’est-à-dire toutes les herbes sauf celle du catalogue officiel, une variété de gazon parfait – avaient fini par porter ses fruits, mais on n’était jamais trop précautionneux : on signalait de temps à autre un pissenlit qui profitait d’un jardin mal entretenu, ou d’une lézarde dans un mur pour menacer le quartier de ses aigrettes envahissantes. "Il n’y a pas plus fourbe qu’un pissenlit", disait la comptine qu'on faisait réciter aux enfants dès la maternelle. Une fois dans la rue, Ben respecta scrupuleusement les consignes de déplacement le long des rares passages autorisés aux piétons. Comme il n’y avait plus grand monde à surveiller, le travail de la Police avait gagné en qualité : chaque pas de Ben devait être filmé par au moins cinq caméras, et son identité contre-vérifiée toute les minutes par un agent derrière son moniteur ou par un robot-policier posté en haut d’une des tours de garde qui se dressait à chaque carrefour – les mauvaises langues les appelaient les miradors, mais les mauvaises langues se faisaient rares, comme les mauvaises herbes. »

Ben, c'est le nom con par excellence. C'est pour ça que je l'ai choisi pour mon texte, et que ma mère m'en a affublé en deuxième prénom.
Ben, comme "benêt", ou "que veux-tu faire, plus tard ? Ben j'en sais rien !".
Ben, comme la benne à ordure.
Benoît, comme le pape, le "béni", Benito, amen ; Benjamin, comme le petit dernier qu'on ne prend jamais au sérieux ; Ben comme "fils de", Ben comme dans "va bene", Ben comme le Big Ben, une horloge qui me rappelle immanquablement... Benny Hill.

Pour revenir à nos pissenlits, il y en aura encore quand nous aurons tous disparu de la surface de la Terre dans une gigantesque explosion de dinosaures clonés sur une météorite, ou dans les toux grasses d'une ultime grippe canine ou batracienne. Alors pourquoi devrais-je me faire du mouron ?

vendredi 8 mai 2009

Hello World

Voilà, c'est fait. 
Ci-gisent les premières lignes de mon blog. 
Le sort en est jeté. Alea jacta est, pour rester dans la veine pseudo-latiniste de ce blog à part (le jeu de mot est facile, mais ne comptez pas sur moi pour me retenir d'en commettre d'autres, et des pas bons.) 
De Natura Redrum : ce n'est pas du Lucrèce version gore, ni une nouvelle ligne de produits de naturothérapie ; c'est un blog non spécialisé, comme il y en a des millions sur le net, mais avec un ton, le mien, et un but, celui de me défouler après mes journées de turbin.
Je n'ai pas la moindre foutue idée de ce que je vais mettre dans ce fourre-tout virtuel. 
En fait, si, je le sais, mais mon manque d'originalité me fait un peu honte.  Car, tenez-vous bien, je compte partager avec d'hypothétiques lecteurs - vous, en l'occurence, car vous êtes en train de me lire, non ? C'est très Schrödinger, ce truc, vous ne pouvez pas à la fois 1) avoir lu les mots qui précèdent 2) prétendre ne pas faire partie de mes lecteurs - bref, je compte faire profiter qui voudra de mes opinions bien arrêtées sur tout et n'importe quoi. Un blog super original, je vous dis. 
Ça commence bien, moi-même je me tanne déjà (en bon québécois) de ce que je (me ? vous ?) raconte. Si je ne suis pas capable de pondre trente ligne pour un premier post, à qui veux-je (hein ? mais si, ça se dit) faire croire que je pourrai alimenter régulièrement ce blog ?
L'actualité m'aidera certainement.
J'aurais voulu vous parler de Susan  Boyle alias"Shrek est vivant c'est une femme et il chante (bien)", ou de la Grippe Cochonesque, ou encore de l'investiture d'Obama, mais tout ça c'est déjà DÉPASSÉ !! 
L'actualité, c'est comme un train. 
Avant (je veux dire par là : back in the 80's), on pouvait la suivre à peu près, en regardant les deux-trois chaînes de TV, en écoutant deux-trois radios, en lisant deux-trois journaux. On s'accrochait à la micheline de l'info qui nous balladait à droite, à gauche, on se faisait gentillement laver le cerveau au lavabo, filet d'eau tiède, shampooing et tout. On pouvait décrocher et reprendre plus tard, ou rester la tête sale.
De nos jours, on a l'impression d'être au beau milieu d'une gare de triage, ça roule dans tous les sens, on peut aller où on veut, mais au final on reste à quai de peur de se faire écraser. Et quand on monte dans un express, on tourne en rond, comme avant, sauf qu'on le fait beaucoup plus rapidement. On n'est plus endormi par le ronronnement du robinet d'eau tiède, mais on est assommé par la cacophonie des canons à eau, pris dans le tir croisé des SMS, des twits, des flashs spéciaux, des 81433 media qui nous bombardent copieusement. Pas moyen de rester en dehors de tout ça.
Je vais donc prendre les choses comme elles viennent, même si elles peuvent venir de n'importe où et aller nulle part. 
Au fait, mais pourquoi diantre De Natura Redrum ? Bah oui : un peu d'écologie, de cinéphilie et de culture "classique", c'est le nec plus ultra du Bobo sans frontière. Ce blog prétentieux ferait mousser de l'eau pure. Mais ça fait tellement de bien !